• Date de dépôt du sujet : septembre 2023
Présentation du thème de recherche
La musique dans le cinéma de Dino Risi de Pauvres mais beaux (1957) à Fantôme d’amour (1981) : trajectoire et mutations d’une œuvre en prise avec l’Histoire italienne
« Il faut coudre ce tissu rose d’un fil noir[1] ». À travers cette phrase simple aux apparences anodines, Dino Risi, l’un des principaux maîtres du cinéma italien, résume bien ce qui fait l’essence de sa création cinématographique : aborder par le prisme du rire et de la satire sociale la plus féroce des sujets graves voire dramatiques, ancrés dans l’actualité de l’Italie de son époque. Ainsi, et à l’instar d’homologues comme Mario Monicelli, Luigi Comencini, Ettore Scola, Luciano Salce, Pietro Germi, Pasquale Festa Campanile ou encore Steno, le cinéaste milanais, psychiatre de formation, donne au genre de la comédie à l’italienne une force et une profondeur toute singulière.
Si le cinéma de Dino Risi se présente comme un corpus immense – quatre-vingt-trois films réalisés sur près de soixante ans de carrière – une trajectoire se dessine néanmoins dans sa création. Après la série de comédies de mœurs légères caractéristiques de la période du néoréalisme rose qu’il tourne dans les années 1950, le cinéaste fait peu à peu évoluer son œuvre à l’orée des années 1960 et jusqu’en 1980. L’Histoire de l’Italie alors en plein changement l’inspire et devient le berceau de sa création. Lucide, parfois cruel, Risi ne craint pas d’aborder dans ses films des sujets brûlants d’actualité. Ainsi, il livre une analyse impartiale du miracle économique italien dans Une vie difficile (1961) ou Le Fanfaron (1962), s’attaque aux institutions enracinées dans la culture de son pays, telles que l’église et le mariage dans La Femme du prêtre (1970), s’intéresse à l’essor du féminisme dans Moi, la femme (1971) et à la libération sexuelle dans Une poule, un train… et quelques monstres (1969) ou Le Sexe fou (1973), évoque la question des conflits intergénérationnels au crépuscule des années 1970 et le tumulte des années de plomb dans Cher papa (1979) ou Rapt à l’italienne (1973), ou dépeint encore des pouvoirs politiques véreux à travers la montée en puissance du néocapitalisme dans Au nom du peuple italien (1971) ou de la « Néo-Télévision[2] » berlusconienne dans Dernier amour (1978).
Partant d’une sensation d’effervescence et d’énergie débridée pour aboutir à des sentiments toujours plus mélancoliques et plus amers, la période qui va de la fin des années 1950 aux débuts des années 1980 voit s’opérer un net changement de ton au sein de la création de Dino Risi. Cette mutation esthétique se ressent aussi d’un point de vue musical, non seulement à travers le choix des chansons préexistantes qui émaillent ses œuvres, mais aussi et surtout des musiques originales composées par des musiciens talentueux de l’époque. Si Ennio Morricone a jugé de manière sévère l’approche spontanée que le cinéaste entretenait avec la musique[3], ce frappant changement de ton est une preuve qu’elle relève de qualités plus subtiles et plus complexes. Ces qualités méritent d’être interrogées tant dans leurs relations à l’image et à la narration que par rapport à un contexte historique précis.
Risi s’insère au cœur d’une époque où la musique dans le cinéma italien connaît une envolée sans précédent : un véritable patrimoine musicofilmique éclot grâce à une nouvelle génération de compositeurs comme Ennio Morricone, Armando Trovajoli, Riz Ortolani, Carlo Rustichelli, Piero Piccioni, Piero Umiliani, Carlo Savina, Manuel De Sica, etc. Si Risi a pour singularité d’avoir travaillé avec tous ces musiciens italiens, il collabore aussi avec Francis Lai dans le cadre de coproductions françaises (Âmes Perdues, 1976). Attiré par des couleurs musicales populaires, modernes, dans l’air du temps – la musique du Fanfaron en témoigne –, on sent chez le cinéaste une volonté de s’écarter assez rapidement du modèle classique conventionnel pour épouser pleinement les directions esthétiques nouvelles prises par le cinéma de son époque. Néanmoins, des partitions de films comme Parfum de femme (1974), La Chambre de l’évêque (1977) ou Fantôme d’amour (1981) apportent une nuance nettement plus sombre et plus mélancolique à sa création.
Quelle place la musique occupe-t-elle dans la création de Dino Risi ? En quoi s’inscrit-elle dans son projet cinématographique ? De quelles manières embrasse-t-elle les directions et les mutations de sa démarche artistique et de l’esthétique de ses films ? Crée-t-elle une cohérence dans le corpus des films qu’il réalise entre la fin des années 1950 et le début des années 1980 ? En quoi est‑elle représentative d’une certaine modernité de la musique au cinéma à une époque où celui-ci tend à défricher de nouveaux territoires tant narratifs que formels ? En quoi, dans une plus large mesure, la musique des films de Risi a-t-elle contribué à définir les contours de la musique du genre de la comédie italienne tout en s’inscrivant dans le patrimoine musicofilmique du cinéma italien ?
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[1] Michel Ciment & Dino Risi, « Jusqu’au bout avec Dino Risi » [entretien réalisé en 1977], Positif, n° 719, janvier 2021, p. 104.
[2] Umberto Eco, La Guerre du faux [1985], Paris, Le livre de poche, coll. « Biblio essais », 1987.
[3] Sergio Miceli & Ennio Morricone, « Colloquio con Ennio Morricone », dans Sergio Miceli, Musica e cinema nella cultura del Novecento, Rome, Bulzoni, p. 484-485.
École doctorale
ED 612 Humanités – Université de Poitiers