• Date de dépôt du sujet : novembre 2023
Présentation du thème de recherche
La diaspora gabonaise en France : Présence et implication politique transnationale (1946-2016)
« Les études sur la diaspora gabonaise occultent étrangement la dimension politique de leur champ alors qu’elle est peut-être aujourd’hui l’élément central pour comprendre sa dynamique ».[1]
Les études sur les migrations gabonaises sont abondantes[2]. Curieusement, cependant, les pratiques politiques transnationales des gabonais émigrés sont longtemps restées hors-champ tant des études sur leur implication politique ou du vote au Gabon que des études sur les migrations, hormis quelques exceptions. À ce jour, il n’existe pas beaucoup d’enquêtes, comparatives et sur la durée, de l’implication politique des gabonais expatriés à l’endroit de leur pays d’origine. Pourtant, le Gabon fait partie des pays d’Afrique subsaharienne parmi lesquelles la diaspora est très active sur le plan politique depuis la colonisation tardive et c’est aussi l’un des premiers pays du continent à avoir accordé à ses ressortissants vivant à l’étranger le droit de vote pour les élections présidentielles et référendaires, dès 2005. Entre 2005 et 2016, la diaspora a ainsi participé à trois élections présidentielles.
Cependant, à travers notre mémoire d’histoire, nous pensons avoir restitué les enjeux qui ont comporté le vote de la diaspora gabonaise de 2005 à 2016 en s’appuyant sur celle de la France. Nous avons tenté d’analyser les mécanismes ainsi que les pratiques électoraux des gabonais de France lors des scrutins présidentiels gabonais.
Le bilan de notre travail nous a permis de formuler deux conclusions.
D’abord, l’exercice du droit de vote est venu renforcer l’implication de la diaspora dans les actions politiques à l’endroit du pays d’origine. L’étude de cas de la diaspora gabonaise de France a abouti et a confirmé la force du lien avec le pays d’origine que pouvait créer l’octroi du droit de vote à distance pour la diaspora. Cependant notre hypothèse confirme que la participation de la diaspora gabonaise au développement n’est vérifiée que sur le plan politique. En effet, les gabonais de France que nous avons interviewés développaient peu d’actions économiques et n’avaient quasiment pas de lien avec les actions socio-politiques de leur pays d’origine, même pour les plus engagés dans les « Homeland politics ». On remarque donc une diaspora absente dans le domaine économique mais plus encline à l’activisme politique. Pour les étudiants qui sont les premiers bénéficiaires de la coopération francogabonaise, leur passage en France se limite à mener assidûment leurs études et se préparer à se faire coopter par les hommes politiques de leur pays d’origine. Depuis l’année 2005 (année du premier vote externe au Gabon), la mobilisation importante de la diaspora gabonaise de France lors du vote justifie cette approche.
Ensuite, l’octroi du vote externe par le Gabon à ses ressortissants de l’étranger répond à un signal d’ouverture politique de la part du gouvernement gabonais. La crédibilité politique que semble offrir ce vote légitime de ce fait le Gabon comme pays démocratique. D’autre part, la question d’un sentiment l’allégeance ou de la loyauté des candidats ainsi que celle de la diaspora à l’ex-puissance colonisatrice (la France) construite autour de la structure cognitive faites d’idées, de croyances ou de valeurs partagées qui présentent la France comme « patrie des droits de l’homme » a aussi constitué un élément du débat ouvert dans cette étude. En effet, le tremplin politique que semblerait rechercher les hommes politiques gabonais à Paris, la cooptation politique recherchée par cette élite diasporique à l’endroit des autorités gabonaises et françaises, correspond à une volonté d’influence mutuelle dans le débat politique transnational.
Démarche de recherche : La diaspora entre force et instrument de pouvoir politique
Dans notre thèse, nous proposons ici d’élargir les bornes chronologiques et thématiques de notre mémoire afin de produire une histoire plus complète de la diaspora gabonaise de France et son rapport à son Etat d’origine, en nous interrogeant sur la constitution de cette diaspora en France ainsi que les enjeux de sa présence et son rapport politique à son pays d’origine qui fait d’elle une nation « entre-deux ». Comment s’est construit un transnationalisme politique gabonais en France ? Plus encore, comment cette construction politique a-t-elle été un enjeu sociopolitique dans l’axe Paris-Libreville et inversement ?
Nous entendons étudier l’exercice de l’activité politique de la diaspora gabonaise depuis l’hexagone en direction de son pays d’origine en dépassant le cadre du seul vote. Nous accorderons une attention particulière à la constitution de cette diaspora, aux grands moments de l’histoire du Gabon auxquels elle a pris une part active depuis 1946 dans la mesure où nous faisons l’hypothèse que cet acteur nouveau dans le langage politique qui est la diaspora depuis le XXe siècle force une redéfinition des organes du pouvoir de la souveraineté étatique, comme c’est le cas dans plusieurs Etats africains aujourd’hui. Il nous a paru qu’un travail remontant en 1946 et s’achevant après 2016 semblait le plus pertinent.
En effet, si la communauté gabonaise se retrouve en France, c’est surtout au bénéfice des facilités d’études ou des raisons économiques dont la quête « de meilleures conditions de vie »[3]. La présence française est établie au Gabon depuis une centaine d’années par le biais de la colonisation. De 1946 (création de l’Union française) jusqu’au milieu des années 1950[4], la diaspora gabonaise de France était d’origine bourgeoise. Elle était essentiellement composée des enfants des premiers notables gabonais, ceux de la petite élite politico-administrative coloniale, ceux des colons et d’exploitants forestiers avec des femmes locales qui venaient faire leurs études en France. Mais à partir de 1950[5], cette diaspora fut renforcée par des étudiants issus milieux divers ayant bénéficié d’un programme de bourses d’études instauré par la métropole depuis la fin de la deuxième guerre mondiale. Regroupés au sein de l’Association des Etudiants du Gabon (AEG) fondée par Léon Augé en 1949 (qui en était par ailleurs le premier président), les étudiants gabonais en France adhérèrent à la célèbre Fédération des Etudiants d’Afrique Noire en France (FEANF) et s’engagèrent en faveur de l’indépendance de l’Algérie et contre le colonialisme. Ils s’en émancipèrent progressivement parce qu’ils n’avaient jamais accédé aux plus hautes fonctions de la FEANF en dépit de parcours parfois remarquables. En 1955 ils créent l’Association Générale des Etudiants du Gabon (AGEG) pour se focaliser sur leur pays. Dès cette époque, on observait des revendications contestataires, voire un véritable engagement politique au sein de la diaspora gabonaise. Ainsi, dans les colonnes de leur journal L’Etudiant au Gabon, les membres de l’AGEG réclamaient l’indépendance du Gabon et s’opposaient à la loi cadre Gaston Deferre de 1956. En 1958, des membres de l’AGEG, dont Germain Mba et Jean-Pierre Nzoghe Nguema, prônèrent le « non » au référendum du Général de Gaulle sur le choix entre le maintien dans la Communauté française et l’indépendance, et créèrent même le premier parti politique gabonais à l’étranger, le Mouvement Gabonais d’Action Populaire (MGAP). Ce parti ne parvint toutefois pas à s’imposer sur l’échiquier politique national après l’indépendance du Gabon le 17 août 1960. C’est pourquoi nous choisissons 1946 pour constituer notre borne de départ.
La deuxième borne proposée est 2016 ; cette année marque la dernière élection présidentielle gabonaise au cours de laquelle la diaspora gabonaise résidant en France a pris une part active et dont la portée nous intéresse fortement. 2016 représente aussi une année de violences post-électorales à la suite de la remise en cause par l’opposition du résultat de la présidentielle. Les interactions des manifestants avec les forces de l’ordre font des dégâts matériels et humains et aboutissent au dialogue national d’Angondjé. La diaspora a semblé même avoir pris la place de l’opposition gabonaise interne (Manifestation, activisme), dont le jeu d’alliance ne facilite guère une cohésion afin d’asseoir un projet commun pour une alternance politique au sommet de l’État.
Ainsi on peut formuler deux axes de travail à partir de ces données.
Axe 1 : Outre les bases historiques légitimant la place de la France dans cette présente étude, cet axe se propose d’interroger la mise en ministère des migrations internationales et le transnationalisme politique des gabonais de France.
On procédera par exemple à une revue des concepts et des définitions à savoir de migration internationale, transnationalisme politique et diaspora dans un cadre plus général en tenant compte de ce qui peut se faire au sein d’autres diasporas avant de les ramener au cas gabonais. Etienne Smith a notamment évalué cette hypothèse à travers des analyses heuristique et géographique sur le transnationalisme politique de la diaspora sénégalaise et de ses enjeux[6] et Thomas Lacroix, dans une perspective géographique, l’a également abordé pour analyser le cas marocain[7]. Ce qui pourrait nous emmener à jeter un regard d’ensemble sur le cheminement politique de la diaspora gabonaise installée en France depuis la colonisation tardive jusqu’à 2016 à travers une démarche diachronique héritée de notre formation historienne.
Axe 2 : Ici, il s’agit d’évaluer les différentes dimensions que revêt l’activisme politique des gabonais de France via des procédés d’enquête orale ou documentaire. Ensuite, il est utile de connaitre les enjeux liés à cet activisme (enjeux qui concernent aussi l’Etat d’origine et celui d’accueil) et pourquoi pas les modes de participation politique de ladite diaspora au cours de la période étudiée.
Cet axe peut nous aider à comprendre les enjeux politiques du « Homeland politics » des gabonais de France. Autrement dit, évaluer la crédibilité politique de cet engagement diasporique pour l’État gabonais, les pesanteurs politiques et idéologiques qui légitiment la place du pays d’accueil (la France) dans le déroulement du processus politique transnational gabonais et les enjeux de cet engagement pour le transmigrant gabonais de France.
En définitive, nous croyons fortement que cette étude approfondie sur l’implication politique de la diaspora gabonaise de France en direction de leur pays d’origine viendrait grandement renforcer les travaux existants sur l’histoire politique du Gabon et de l’Afrique centrale, et les formes de mobilisation de ses citoyens depuis la période coloniale tardive.
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[1] Extrait d’interview de Guy Rossantanga Rignault, professeur de droit public et de sociologie politique à l’université Omar Bongo, réalisé le 08 janvier 2021.
[2] Darel Ngong Mounguengui, Les enjeux du vote de la diaspora africaine : le cas des gabonais de France de 2005 à 2016, dirigé par Thierry Aristide Midepe et Jean-françois Owaye, Mémoire de master d’histoire, politique soutenu le 31 janvier 2022 à l’université Omar Bongo de Libreville.
[3] Delphine Lecoutre, « La mobilisation politique de la diaspora gabonaise d’opposition en France à l’épreuve de la crise post-électorale de 2016 au Gabon », Note n°12, IFRI, Mai 2020
[4] Midepe, Thierry Aristide, « L’évolution politique des colonies françaises subsahariennes : retour sur la Parenthèse référendaire de 1958 à travers les cas du Gabon et de l’exception guinéenne », In Gilchrist Anicet Nzenguet Iguemba (Dir.), Hommages à Pierre N’dombi, Paris, L’Harmattan, 2013, pp. 241 à 258.
[5] Bernault, Florence, Démocraties ambiguës en Afrique centrale. Congo- Brazzaville, Gabon : 1940-1965, Paris, Karthala, 1996
[6] Smith, Etienne, « Sénégal, la diaspora fait-elle l’élection ? Le vote à distance de 1992 à 2012 », Afrique contemporaine, n° 256, 2015
[7] Lacroix (T), Les réseaux marocains du développement. Géographie du transnational et politiques territoriales, Presses de Sciences Po, collection Académique, Paris, 2005.
École doctorale
ED 612 Humanités – Université de Poitiers