Thèse de doctorat en Histoire moderne et contemporaine préparée par Timothé Augis-Vincent, sous la direction de Thierry Sauzeau (Université de Poitiers, Criham).

• Date de dépôt du sujet : septembre 2022

 

 

Présentation

Revalorisation des données anciennes : L’exemple de la bathymétrie au siècle des lumières

Contexte scientifique et objectifs

Du point de vue de l’hydrographie, la connaissance rétrospective des littoraux français, européens et ultra marins repose sur un corpus de cartes bathymétriques produites par des marins, des cartographes puis des ingénieurs. En effet, à compter du début du XVIIe siècle, débute un mouvement de transfert vers le support cartographique des points d’observation (latitude et longitude), des profondeurs (sondes) et de la qualité des fonds mesurés (sédiments) relevés au cours de campagnes maritimes (guerre, commerce, exploration, hydrographie). Cette pratique concerne les zones de plateau continental et elle est essentiellement demeurée aux mains des États et des marines de guerre. En France, les archives de cette activité qui nous sont parvenues sont des témoignages patrimoniaux de grande valeur. Ces fonds d’archives ont été constitués dans le cadre du travail du Dépôt des cartes et plans, ancêtre du Service hydrographique et océanographique de la marine (Shom), fondé en 1720 sous la Régence.

Du XVIIe au XXe siècle, les techniques de géolocalisation, les pratiques de levés bathymétriques, les processus de transfert des données d’observation vers la carte ont connu des évolutions. Depuis le Moyen Âge, on utilisait le plomb enduit de suif (plomb suiffé) qui permettait de remonter des fonds marins les sédiments et les micro-organismes qui s’y trouvent. Le passage du plomb de sonde au sondeur acoustique dans les années 1950 a consacré l’abandon des prélèvements de sédiments et de micro-organismes qu’ils contiennent. Paradoxalement, les informations anciennes disponibles dans les archives sont donc plus riches que celles dont on dispose actuellement, par le biais de campagnes de levés systématiques comme ceux réalisés en France par le Shom. C’est par souci de rationalisation économique qu’on a abandonné les prélèvements de sédiments sous-marins, ce qui a mécaniquement appauvri l’information cartographiée. Par ailleurs, on doit à l’ingénieur hydrographe Beautemps-Beaupré (1766-1854) une réforme complète des pratiques de levés bathymétriques dans la marine française. Un soin particulier a tout d’abord été apporté à la qualité des cordes support des sondes et à leur utilisation. Au-delà de cet effort de standardisation, un autre apport majeur a consisté à corriger l’influence du marnage, pratique définie comme la « réduction des sondes ». L’héritage de Beautemps-Beaupré a marqué les années 1830 et 1950, avec une cartographie marine riche, fiable et pour cette raison largement utilisée dans le cadre des recherches en sédimentologie côtière. Sur cette période, on estime à plus de 4 millions le nombre de levés au plomb suiffé conservés dans les archives et concernant les côtes françaises, européennes et celles des anciennes colonies. La qualité de cette information présente une forte densité liée à la méthodologie de l’époque : au cours d’une campagne hydrographie côtière, on procédait à un levé suiffé tous les 20 m environ.

Avant les années 1830, les informations de géolocalisation connaissent une précision qui s’amenuise à mesure qu’on remonte dans le temps. Néanmoins, c’est le mérite de l’Académie des sciences, créée sous Louis XIV, que d’avoir fait progresser les techniques d’établissement du point en zone littorale (latitude ; longitude). Le travail du Dépôt des cartes et plans, fondé en 1720, en bénéficie pleinement. C’est le gage d’une fiabilité des points sondés et cartographiés sur le littoral français, européen et dans les colonies. Cependant, la question de l’absence de réduction des sondes interdit d’utiliser les données bathymétriques telles qu’elles se présentent sur les cartes antérieures aux années 1830. C’est la raison pour laquelle le corpus cartographique antérieur à 1830 reste peu utilisé en raison de son manque de fiabilité. L’un des points forts innovant de ce projet de thèse consiste alors à se tourner vers les journaux de campagne à la mer. En effet, ceux-ci fournissent la localisation mais aussi les dates et les horaires des sondes réalisées. Au prix d’un travail de base de données, il est tout à fait possible de corriger l’effet du marnage et donc de réduire ces sondes enregistrées au XVIIIe siècle avant de les insérer dans des supports cartographiques numériques. En d’autres termes, il s’agit de faire remonter d’un siècle notre connaissance de la bathymétrie et de la sédimentologie côtières en recréant des cartes à partir de jeux de données reconnues, saisies, corrigées et cartographiées à nouveaux frais.

Valeur ajoutée de la thèse

Le principal objectif de ma thèse consiste à profiter de la richesse documentaire du Dépôt des cartes et plans, auquel a succédé le Shom, pour créer un portefeuille cartographique numérique interopérable avec la production cartographique actuelle et permettant de se livrer à une large gamme de comparaisons. Ce portefeuille est composé de deux grands dossiers, structurés autour de la qualité de l’information historique disponible. D’abord, je m’empare de l’ensemble des journaux de campagne à la mer antérieurs à 1830, afin d’en extraire manuellement les données de géolocalisation ainsi que les dates et heures des sondes, dans le but de les réduire avant de les cartographier. Puis, entre les années 1830 et 1950, je travaille sur le traitement des cartes produites par les services hydrographiques. Dans l’acquisition de ces sondes-là, dont la fiabilité est éprouvée, le recours à la reconnaissance optique et à l’intelligence artificielle est privilégié. Chacun des points des deux générations de cartes doit aussi être associé à la qualité du sédiment remonté des fonds marins par le plomb suiffé.

Écosystème de recherche

Cette proposition de thèse s’appuie d’une part sur les résultats d’un Master 2 en histoire des sciences soutenu à l’UBO sur la base d’un stage proposé au laboratoire Criham de Poitiers (2020) et d’autre part sur les travaux d’une équipe pluridisciplinaire qui a participé à l’Ocean Hackathon (2021) sur le site de la Rochelle. Par ailleurs, cette thèse pluridisciplinaire entre analyse de phénomènes physiques et histoire s’inscrit dans un écosystème structuré par le réseau régional de recherche Risques et vulnérabilité pour l’adaptation et la gestion des littoraux en Nouvelle-Aquitaine (RIVAGES) dont est membre le laboratoire Criham. Thèse en lien direct avec le programme UP² Rosagel (Reconnaissance Optique Semi-Automatique et Géolocalisée des cartes anciennes pour l’étude des Environnements Littoraux (XIXe-XXe siècles)).

 

École doctorale

ED 612 Humanités – Université de Poitiers